J’ai eu l’occasion d’assister récemment à une conférence d’Eric Albert, auteur de « Partager le pouvoir c’est possible. Réinventer l’entreprise ? » (Albin Michel, 2014). Voici quelques unes des idées qu’il a partagées avec nous.
Son point de départ est la contradiction qu’il constate entre les évolutions qui se dessinent, dans la société civile,
vers davantage d’échanges, de convivialité et d’engagement émotionnel des acteurs, et d’autre part le mode de fonctionnement des entreprises « classiques ». Il observe que la majorité des entreprises actuelles sont organisées de façon verticale et fonctionnent à partir de systèmes de performances individualisées et de motivations extrinsèques de type bonus et sanction. Elles sont enfermées dans le carcan des process et du reporting, ce qui décourage la prise d’initiatives.
Pour Eric Albert les questions qui se posent sont les suivantes : pourquoi les entreprises ont-elles autant de mal à évoluer dans le sens des tendances sociétales actuelles ? Quelles sont les entreprises innovantes en la matière ? Pourquoi la conversion est-elle si difficile ? Il met en évidence deux évolutions actuelles des entreprises : certaines se spécialisent dans les produits à forte valeur ajoutée et appliquent un modèle d’organisation centré vers l’innovation et l’adaptation du produit au client, alors que d’autres, au contraire, s’orientent vers les produits « low cost ». Dans ce dernier cas c’est le client qui s’adapte au produit. Il fait remarquer que dans les entreprises qui choisissent cette première évolution ce sont les nouveaux modèles sociétaux qui sont privilégiés : il cite ainsi l’exemple du temps libre accordé aux salariés chez Google et de l’impact sur la capacité d’innovation de l’entreprise. Il évoque la gestion collaborative du groupe coopératif Mondragon, ou encore le modèle de B-corp (benefit corporation) impulsé par Patagonia en Californie et qui met en valeur à la fois les actionnaires, les clients, les salariés et l’environnement. Le modèle de l’entreprise classique est condamné, nous dit Eric Albert : il en veut pour preuve le fait que selon les enquêtes 65 % des salariés pensent que leurs intérêts divergent de ceux des patrons. Qui plus est, l’innovation dans les entreprises classiques n’est qu’une simple amélioration de l’existant, alors que l’innovation réelle dont toutes les entreprises ont de plus en plus besoin est disruptive et nécessite de larges espaces de liberté. Second élément important : la culture d’entreprise. Eric Albert oppose la culture du « Take the money and run » des entreprises classiques à la forte identification à des valeurs partagées dans les entreprises innovantes.
La clé du nécessaire processus de transition est, pour lui, le fait de partager le pouvoir. Il souligne l’aberration qui fait que la partie prenante la moins engagée, les actionnaires, soit celle qui décide du futur des entreprises. Il cite les exemples du fonctionnement par projet chez Gore-tex, par groupes chez Zappos, ou par client chez Favi, et l’élimination des niveaux hiérarchiques qu’il a instauré dans son propre cabinet. Mais comment convaincre les dirigeants des entreprises classiques ? En leur montrant que l’essentiel du reporting actuel ne constitue pas un contrôle réel mais répond au phénomène psychologique de l’illusion de contrôle, alors que l’utilisation du contrôle social via le regard des autres dans une entreprise plus horizontale est beaucoup plus efficace. Une profonde mutation de la société est en court, affirme Eric Albert, et nous allons tous être amenés à adopter des modèles de management adéquats. Les premières entreprises capables de modifier leur fonctionnement en fonction de ces nouveaux modèles sociétaux feront basculer l’ensemble de leur marché, grâce au niveau de leurs performances, conclue-t-il, avec optimisme.
Pour en savoir plus sur ses idées, voici une interview de 9 minutes sur BFM Business :
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